De la souffrance, fin du chapitre

Haine ou amour ?

La question a fait son chemin

Elle est descendue dans les profondeurs

Là, où tout se cache farouchement

Et pourtant crie si fort

En une plainte sans fin.

*

Comme un mal lancinant

qui ronge tout de l’intérieur

Qui porte tant de noms

Mais qu’on ignore

Ne pouvant le découvrir

Dans sa globalité.

*

Il parle d’espoir

Alors que l’on tient tant

A sa désespérance

Il parle d’amitié

Alors que l’on ne veut surtout

Pas aimer.

*

Il est le doute

Qui grandit au cœur du plus beau

Sournois, tapi dans l’ombre

Étouffant la vie même

Disant que si, que non

Emplissant tout l’espace.

*

Le voir

Le voici furoncle putréfié

Le nôtre, celui du monde

Le voir dans toute sa réalité

Et là, enfin, décider

De vivre.

Plume D’Eveil – De la souffrance (25)

– Un exemple, les enfants à l’école viennent de s’installer, les 9 autour de la grande table, tous du même âge, 7 ans, ils piaillent, je parle, ils ne m’entendent pas, j’ai mal à la tête, etc.

Ça bout à l’intérieur, je contrôle l’énergie le plus longtemps possible, essayant de négocier avec les marmailles des conditions pour se mettre au travail, sans succès. Je finis par élever la voix, menacer, punir.

A aucun moment, je n’ai admis que les enfants sont dans ce mouvement de turbulence, admis que cela me met en difficulté. J’ai sauté à pied joint, dans le déni, tendant vers ce qui devrait être, fuir cette situation inconfortable qui remet en cause.

Alors que dans l’acceptation de ce qui est, mouvement interne lié je pense à l’amour, quelque chose d’autre devient possible et c’est la fin de la violence sans qu’aucune volonté ne vienne s’en charger.

A tout moment cela se peut, il n’est jamais trop tard.

*

– Il y a dans tes mots présents une forme de prolongement à ma réponse sur la souffrance.

Il n’y a que l’amour qui puisse effacer, le réel lâcher prise est un geste de cet « amour-là ».

L’amour pour la vie et pour l’instant, l’amour pour ce qui est à vivre déracine le germe de la violence, la souffrance en est un beau aussi.

L’acceptation est effacement.

L’effacement est légèreté et spontanéité, liberté.

Plume D’Eveil – De la souffrance (24)

– Il me semble que parler de la souffrance est parfois nécessaire.

Si la souffrance ne s’exprime pas, elle finit par faire corps avec la personne à tout jamais. Et là, c’est pour l’espèce des informations douloureuses.

*

– Certes Michelle, parler de la souffrance doit soulager, pourquoi ?

Est-ce parce que le fait d’en parler peut permettre d’y voir plus clair, de mieux connaître sa souffrance ?

Parler de ses souffrances, est-ce réellement les exprimer, les sortir de soi ?

Que d’autres oreilles reçoivent nos plaintes, cela semble-t-il représente un soulagement, pour ma part ce comportement est difficile à accepter. Je ne pense pas que ce soit le « passage obligé » pour en sortir.

Alors, comment ai-je fait toutes ces années, en les taisant, qu’ai-je fait de mes souffrances ?

Chez certaines tribus primitives d’Amérique du sud, a contrario des théories psychanalytiques, car c’est très psy que de devoir exprimer ses souffrances, les gens effacent de leur mémoire tous les événements tragiques, c’est naturel chez ces gens-là.

« Mais comment font-ils pour effacer de leur mémoire des pans entiers de leur vie ? » Mystère !!!

Alors bien entendu il y a l’explication du refoulement, mais elle ne marche pas ici, parce que refouler ne permet pas de se libérer, et ces gens-là sont bien libérés de leurs douleurs passées.

Plume D’Eveil – De la souffrance (23)

– Quelque chose s’apaise qui depuis longtemps me faisait courir. Mais pourquoi avoir tant couru ? Pourquoi une telle urgence ?

Toi aussi, c’est étrange alors que tu vas d’un pas tranquille tu sembles n’être qu’un bouillonnement, comme si nous avions peur de nous endormir dans la gueule du loup.

Je suis encore aveugle et sourde, je n’entends pas mon corps, comme tu entends le tien, et pourtant il se dit en sensations qui restent inaudibles pour la raison. Lorsque je parle de voir, je ne parle pas de la même chose que toi.

« Une douleur dans le doigt, un message est envoyé au cerveau, à quoi va s’intéresser l’esprit ? ». Penses-tu que ce soit dans ce circuit que nous perdons l’accès au langage interne, là où les informations se sont formatées ?

A quoi devrions-nous être attentifs pour enrichir la perception  et la déconnecter du joug du mental ?

*

– Je crois que le bouillonnement est inévitable. C’est la sensibilité qui le produit, « bienheureux les sensibles » qu’il disait (Rires).

J’ai lutté jusqu’à ce jour pour que ne me gagne pas la désespérance, il y a quelque chose en moi qui ne renonce pas, qui refuse de croire qu’il n’y a rien à faire.

Je crois que le changement est toujours un besoin, davantage qu’un désir, c’est donc toujours une réaction. C’est ainsi que se veut la vie dans ce monde.

Que le changement intervienne après une mutation du monde est une façon de dire les choses, parce que tout changement engendre également une mutation du monde. De cette façon, le monde et le « vivant » sont à égalité réactifs et créatifs.

En vérité je crois bien que nous disons la même chose à propos de « voir », car rien ne se fait dans la tête sans sa correspondance aux organes, à tout le corps. La différence sans doute se situe là où l’on pense avoir saisi les images, mais il n’y a qu’un seul processus.

La mise en images a bien lieu dans le cerveau, la « conscience de la pensée » est trop souvent centrale pour nous, la plupart des hommes ignorent même qu’elle n’est pas la seule conscience et qu’à côté de la conscience du corps, elle est peu de chose.

Une douleur au doigt, justement, la douleur n’est que pour l’esprit, pour le corps une blessure est bien autre chose qu’une douleur.

Raison pour laquelle selon les cultures les hommes ne ressentent pas les douleurs de la même manière. L’hypnose démontre « où et comment » se forme la douleur, par le même chemin elle montre comment l’on peut la neutraliser.

Nous ne connaissons pas la réelle douleur, nous ne connaissons que la face que l’esprit s’invente, mais lorsque le doigt est blessé, il y a bien transmission d’informations jusqu’au cerveau, parce que tout le corps doit savoir, tout le corps va participer, le « centre nerveux numéro un » agit comme un chef d’orchestre.

Sans doute qu’avec une longue pratique de la méditation, autrement dit d’une attention dirigée, nous pourrions être davantage témoins de ce que le corps organise pour la réparation de ce doigt, mais l’effort serait injustifié, car porter une attention particulière à une petite blessure représente un manque d’attention ailleurs.

Laissons faire le corps dans ces terrains-là, il n’a pas besoin de notre esprit qui a tant à faire ailleurs.

Les activités de notre esprit sont étroitement liées aux domaines de la violence, agressivité, peur, rassurance. C’est là qu’il nous faut porter notre attention.

Plume D’Eveil – De la souffrance (22)

Le passage d’une lueur à travers la brume

Elle vient de l’autre côté, celui qui parle avec le monde

Il envoie ses images flottantes comme des plumes

Sur un vent d’esprit continu qui inonde

La face rationnelle de ma personne.

 

Le voici bousculé dans son sommeil

Saisissant autant que possible ces runes

Comme des papillons dans son filet de treille

Il court, il court par-dessus les dunes

Pauvre comme un insensé qui raisonne.

Merci à toi de m’avoir invité à marcher à tes côtés.

 

Il y a quelques fois cette tristesse de plomb qui m’envahit, je sais que la laisser faire serait encore plus triste, laisser l’expression d’une perversité. Je n’aime pas me sentir faible, et je me sens faible lorsque je laisse s’imaginer en moi, une cause justifiée au regret, au souvenir de la douleur, ou encore à une peur de ce qui peut venir.

La force est là, la force réelle et belle. Elle est dans le rappel de la conscience au présent, rien n’a suivi derrière nos pas et il ne sert plus à rien de nous inventer quelques raisons de frayeur. Comme je n’aime pas me sentir glisser sur le toboggan de la plainte, entendre en moi la voix qui veut me vendre au plus offrant en criant « regardez-le ! Regardez comme il a souffert et voyez comme il est prêt encore à souffrir!! »

Il y a quelques fois ces deux ou trois larmes qui coulent au coin de l’œil, sans doute viennent-elles d’un pays enfoui dans ma mémoire, un pays si sec qu’on ne verra aucune oasis, une terre brûlée et stérile où l’air y a le goût de l’urée acide.

Et il me vient le désir de les regarder s’écouler sans jugement, de les goûter de la langue, avec sur le visage la même expression que celui qui contemple son album photo.

 

Tu vois Michelle, ces larmes sont encore un défi, elles me narguent et me tendent des cordes au travers du chemin.

Mais comme elles sont touchantes, comme elles me séduisent avec leurs parfum d’humanité. Je ne veux surtout pas céder à leur charme.Vouloir les bannir à jamais serait encore leur accorder trop d’attention, alors je les laisse couler lorsqu’elles le veulent, mais pas plus de trois ou quatre, au-delà ce serait faiblesse.

 

Plume D’Eveil – De la souffrance (21)

– Aujourd’hui ce fut une journée difficile, je me suis souvenue du chemin où un jour tout était facile comme si tout portait, et tout à coup comme si c’était l’inverse qu’il faille tout porter. Aujourd’hui j’ai labouré la terre.

– (Sourire)… tu as semé ?

– C’est ce que j’ai fini par me dire. Parce que même si on admet qu’il est naturel, ce mouvement est forcément par moments un effort. Alors la souffrance dont tu parlais a-t-elle à voir avec ça ? Y-a-t-il réellement une souffrance de l’esprit qui ne soit pas la conséquence d’une résistance psychologique ?

– La souffrance est nécessaire parce qu’elle fait partie du principe de l’évolution. Un sujet qui ne souffrirait pas programmerait en lui des messages de dégénérescence. La façon dont on traverse les instants de la vie engramme des messages codés génétiquement. Si ces messages disent « la vie est cool ici » d’une façon trop répétitive, les codes enregistreront cette valeur et il s’en suivra que moins de moyens de défense ou d’aptitudes seront entretenus. C’est ce qui se passe par exemple dans la culture des plantes, le fait de les cultiver représente une forme d’assistance pour elles. Ainsi, la vie leur est plus facile dans un premier temps, dans un second temps, leurs agresseurs deviennent plus dangereux, ce qui nous entraîne dans une spirale montante et perverse. Il nous faut développer de plus en plus de moyens pour lutter contre leurs agresseurs et ceux-ci, au contraire encodent des messages qui disent : « P… la vie devient rude ici ! ».  Ainsi leur programmation les dote de moyens de défense encore plus efficaces.

– Oui, nous faisons partie de ce mouvement du vivant, et considérer la souffrance comme signe d’échec est contre nature. Se complaire en elle aussi. Lutter contre elle aussi. Vivre cela en paix, enfin la paix n’est pas le bon mot. Juste sans se faire plein d’idées négatives sur le sujet, vivre l’instant. C’est ça, non ?

– Voir, c’est accepter. Lorsque tu fais l’expérience de ce phénomène, tu comprends vraiment que ta souffrance t’a fait grandir. Si tu sais être honnête avec elle, et ne pas oublier qu’elle fait partie des artisans qui te forcent à te dépasser. Éprouver un regret représente une forme d’ingratitude et d’hypocrisie. Regretter la souffrance, c’est comme refuser le cadeau de la vie qui nous est fait. Mais aussi au monde lorsque la vie décide de nous faire le cadeau de mourir.  Quand je meurs, c’est un cadeau que je fais au monde.

– Ces mots-là sont pleins de lumière, et je suis en accord parfait avec eux. Oui, il y a des jours où l’on porte quelque chose qui n’est pas seulement de sa personne. Le vivre comme un cadeau… Cela change tout, sauf si on s’en fait un orgueil. Mais la vraie souffrance ne laisse pas la place pour ce genre de fantaisie. Oui, pas de place pour ça.

– Regretter sa souffrance c’est la multiplier par quatre. Les « agents d’encodage » ne savent plus comment traduire et entraînent une attitude interne périlleuse, ce que la science appelle « la dépression ». Les données ajoutées par la multiplication ne s’engramment pas de la même façon, elles ne trouvent pas les bonnes cases.

– Oui, ça c’est quand la souffrance s’installe.

– Ce n’est pas la souffrance qui s’installe. La vraie souffrance ne s’installe jamais. J’aime beaucoup une phrase de Nietzsche qui dit : « Ce qui ne te tue pas te rend plus fort ».  La vraie souffrance ne s’installe pas, parce qu’avec elle il n’y a qu’une seule alternative survivre, ce qui signifie s’adapter et triompher, ou mourir.

– Il en est ainsi, alors qu’est-ce qui s’installe ? L’image du moi en souffrance ? L’auto-apitoiement ?

– Oui.

– Cette attitude face à la souffrance est malmenée par l’ambiance générale, la souffrance est très mal considérée.

– (Rires)… on s’en fiche de comment on peut la considérer, elle a quatre milliards d’année !

– Mais la personne doit faire deux choses, avoir une juste attitude face à la vie et faire face à toutes ces influences pernicieuses de la « bonne pensée » qui n’est pas la juste pensée.

– J’en vois toujours qu’une seule. Les influences n’existent que si on le veut bien. Je veux parler de celles qui nous inciteraient à penser d’une façon ou d’une autre.

– Oui, c’est une affaire d’ego, d’image de soi, je suis d’accord, toutes les influences passent par ce canal. Alors, on peut dire qu’il n’y a pas d’état stable comme la félicité, cela est impossible, pas de vie dans ce cadre-là.

– La stabilité est justement assise en équilibre entre joie et souffrance, la voie du milieu.

– Tu parles là de la juste attitude face au mouvement de la vie ?

– Oui.

– Regarder ce que la vie fait en nous.

Plume D’Eveil – De la souffrance (20)

– Tout ça est trop démesuré, trop éloigné de la nature, trop dans l’artificiel. Est-ce que ce que je vois là, à petite échelle, est ce qui se passe dans le vaste monde ?

– Ce qui se fera sera juste.

Quel qu’il soit, ce sera juste.

– Juste… au regard du tout, oui, bien sûr… mais tant de souffrances !

– Sans souffrance pas de vie.

La souffrance est le prix de la vie et plus elle est belle, plus elle se nourrit de souffrance.

Mais le regard que l’on pose sur la souffrance n’est ni serein, ni objectif.

– Alors la vie est une mangeuse, et les anciens lui faisaient des sacrifices.

– Tout le monde lui fait des sacrifices depuis la nuit des temps. Rien n’a changé et rien ne changera. Seulement les formes sans doute.

Plume D’Eveil – De la souffrance (19)

– Comprendre signifie prendre en soi.

Rien autant que l’absolu ne réside en nous aussi pleinement. C’est pour cette raison que je dis qu’il n’y a rien à comprendre.

Ce sont des ruses de l’égoïté.

– Si, si, il me semble qu’il y a des choses à comprendre…

Je m’explique… L’égoïté comme tu dis, devant cette chose lorsqu’elle se manifeste avec plus de force ne reste pas inactive et la raison non plus, à ton insu, et même le corps, et les sensations, et la souffrance.

– Oui, mais c’est donc les souffrances qui sont à comprendre. Rien de plus.

– Ce n’est pas si facile de vivre l’intensité, tu ne vas quand même pas me dire le contraire !

– Tu dis vrai, ce n’est pas facile.

Plume D’Eveil – De la souffrance (18)

– Un début de connaissance avouée est sans doute base de sagesse ou d’humilité.

– Avouée, parce que cette connaissance est « je ne sais rien », humilité pour l’état de celui qui reconnaît « ne rien savoir » ?

– Oui, « Je ne sais rien », « feuille au vent », « se laisser être », parlent de la même chose.

Ce qui meut alors la personne, peut-on dire que c’est l’énergie amour ?

– Pfffffffffff… Tu veux encore trouver quelque chose à dire sur ce qui peut nous mouvoir ?

L’amour est une … humaine.

Il ne nous meut pas, c’est nous qui le mouvons.

– D’accord ne donnons pas de nom et n’en disons rien.

Alors parlons de l’état dans lequel est celui qui est mu, pouvons-nous ?

– Oui.

– C’est un état de grande sensibilité ? Celui-ci met-il la personne en état de faiblesse ?

– Non ce n’est pas un état de grande sensibilité. Sinon, oui, ça nous rendrait faible.

– Je ne parle pas de sensiblerie. Je parle de sentir les choses.

– Alors oui. Mais tu sais déjà que la sensibilité ne rend pas faible, au contraire.

– Elle ne rend pas faible, mais elle fait des remous, parce que sentir la souffrance du monde, des enfants, etc.

– Non. Ça, c’est ressentir. Sentir ne laisse pas la place à ce genre de comportement.

– Que se passe-t-il en celui qui « se laisse mouvoir » devant la souffrance d’autrui ?

– Il y tombe… S’écrase !

– Je ne comprends pas… celui qui est feuille au vent s’écrase dans la souffrance d’autrui ?

– Non, celui qui se meut dans la souffrance d’autrui. Ce ne sont pas les mêmes.

– Ah, mais je ne parlais pas de celui-là, je parlais de celui qui est feuille au vent !

– Non ! Je crois que tu mélanges, tu prêtes à celui-ci des orientations ou des choix qui n’existent pas.

– Je me suis mal exprimée, mais je parlais bien de celui qui est sans direction.

Que se passe-t-il en lui, rien ?

Cela le traverse ?

– La joie tranquille de voir que tout est à sa juste place et qu’il n’y a pas lieu de désirer un dieu bienveillant pour les souffrances du monde.

C’est « autre ».

– Tout est à sa place… je n’arrive pas à trouver tout à sa place, peut-être formulé autrement… parce que tout à sa place j’entends une justification des souffrances.

– Le monde et la vie ne peuvent être sans souffrances, comme ils ne peuvent être sans la mort, alors si tu vois là une justification, que ça en soit une.

– Je ne parle pas d’une vie sans souffrance.

Je ne peux pas éprouver de la joie tranquille devant une situation humaine qui génère de la souffrance, je dis humaine, parce que dans le monde des animaux les choses ne sont pas perverties.

Je ne peux pas dire que tout est à sa place. Devant la nature je le peux, même si la foudre vient tuer près de moi l’enfant.

Alors, il y a peut être quelque chose, que je ne vois pas, quelque chose qui n’est pas du domaine ordinaire de perception des choses.

– C’est ton droit.

– Non, ce n’est pas mon droit, tu crois que je revendique quelque chose ?

– Oui, tu revendiques ton droit à rêver d’un autre monde, un monde plus juste et plus tendre, et ton combat est là, travailler à faire changer le monde selon ce que tu te le représentes ?

– Non, ce n’est pas ce que je fais là, en ce moment même !

– C’est ce que tu fais tout le temps dame !

– Écoutes moi, s’il te plaît.

Là, je ne le fais pas, je suis devant un constat et j’essaie de voir.

– Mais tes désirs et tes empathies t’en empêchent hein ?

– Je veux voir mes désirs et mes empathies.

– Tu te places au sein de tes peurs pour voir le monde. De là le fait que tu entendes de travers ce que je te dis.

Le monde est parfait.

Il n’y a que toi et moi, et les autres qui ne le sommes pas, mais c’est une façon encore de dire que le monde est parfait.

Car notre imperfection est le fruit, l’intention de ce monde. C’est parce que nous sommes faibles et sourds que nous sommes imparfaits. Le monde nous a faits faibles et sourds dans sa perfection pour que tout soit en mouvement.

Le monde lui-même évolue, change, ce qui signifie qu’il est imparfait et son imperfection est la seule manière d’être parfait.

Si nous ne savons accepter cela, il ne nous reste que les regrets et autres ressentiments.

Tout regret et tout ressentiment sont un acte de violence envers tout ce qui vit.

La seule façon d’être en amour avec ce monde est de l’aimer tel qu’il est et l’aimer tel qu’il sera. Ainsi, réellement nous serons en mesure de contribuer en conscience à la perfection de ce monde.

Tout le reste est suffisance.

– Alors ce que j’appelle sensibilité est encore de la sensiblerie, parce qu’il faut pouvoir même devant la connerie humaine dire « cela est bien », cela participe !

– Oui, vois-tu une autre façon d’être en harmonie ? Je sais que ce n’est pas facile, c’est même la chose la plus difficile, tendre la joue droite.

– Oui, c’est la chose la plus difficile à faire. Voir la souffrance dans le regard de l’autre, de celui qui ne peut se défendre.

– Chaque souffrance a son histoire, refuses-tu de rouler en voiture, alors qu’elle tue des milliers de petites filles chaque jour ?

– J’entends ce que tes mots montrent, et c’est la seule chose que je puisse faire, aujourd’hui. Que cela est encore arrogance, ça je ne peux pas dire.

Demain peut-être je pourrai dire que ce monde est parfait.

Là, dans le regard de celui-là, je ne le vois pas parfait, voir que ce que mon corps ressent ce n’est pas pour juger le monde.

Plume D’Eveil – De la souffrance (17)

– Toi qui visites ces contrées lointaines, dis-moi, où vois-tu cette souffrance surgir ? Dans ce marquage à vif qui fut celui que tu reçus enfant, d’un coup à l’autre, sans que jamais ton esprit puisse vivre la paix entre les deux ?

– Elle me terrassa tout d’abord, et par faiblesse ou inconscience, je crus l’adoucir en m’habituant à elle, en lui donnant ma confiance, je me trompais, il est des chiens qu’il faut tenir en respect.

– Je me laisse porter par tes mots, ils rejoignent ceux que je connais. La vie ne se trompe pas, elle est.

– Oui, elle est. Tout simplement, dans sa grande beauté, elle est.

– Elle sait cela, le vivant qui se nourrit du vivant, la petite gazelle à peine née qui se fait dévorer par la lionne.

Elle sait la nécessité de l’impermanence, mourir pour que le nouveau soit, c’est inéluctable.

Krishnamurti dit que c’est d’une grande beauté et que cela est amour.

– Je me retrouve totalement dans ces mots.

– Est-ce ici que naît la souffrance ? Juste dans cette espèce qui s’éveille, qui s’éveille parce qu’elle se souvient et qui refuse l’alternance, qui refuse la séparation et la mort.

Mais elle n’est pas utile, conviens-en ?

– C’est dans une forme naturelle qu’elle est utile et non avec tous ces habits que notre suffisance lui fait endosser, je crois que c’est là que tu accroches sur mes mots. La souffrance est une force de la vie, comme ce qu’on appelle la « mort » est une force de la vie, comme la respiration, comme tant de choses encore.

– Nous l’acceptons dis-tu parce qu’elle nous donne un reflet de ce que nous sommes en profondeur.

– Oui, voilà un bel effet de notre egoïté.