Plume D’Eveil – De la souffrance (6)

– Cela veut-il dire que tu n’interviens pas intentionnellement dans ce qui produit le changement en l’autre ?

– Oui, je n’interviens pas, le sujet penseur qui peut se permettre de dire « je » n’interviens pas, ce n’est donc pas un choix, une volonté de ce « je ». Cela implique donc qu’en moi, en nous, il y a d’autres entités, d’autres « on » qui ne se voient pas eux-mêmes comme des sujets penseurs et décideurs.

Je crois que l’on parle trop souvent de la « personne », de « l’être » à partir de ses manifestations mentales, nous pensons tisser « l’être » sur la chaîne de l’esprit, alors que pour moi, l’esprit agit comme l’écran cathodique, il met en image les émanations de l’être qui provient du corps tout entier. En chaque endroit de ma chair et de mes os se tient peut-être l’entièreté de mon « être ».

C’est pourquoi nous ne pouvons guère juger, nous pouvons classer et comparer telle idée avec telle autre, tel choix avec tel autre, telle croyance, etc. Mais nous ne pouvons juger de ce qui ne peut être changé, de ce qui a été donné et non choisi. Comme nous n’avons pas choisi de naître.

Notre « être », nous n’y participons pas, il est création de la nature, nous pouvons lui imposer la volonté de notre ego, nous pouvons « parler » au-dessus de lui et ainsi le couvrir de nos bruits.

Mais « l’être » ne s’écoute pas avec les oreilles, ne se regarde pas avec les yeux, et c’est donc impossible réellement de le bâillonner.

Du guerrier et de la conscience (21)

– « De toute façon comme le moi ne peut représenter l’être la spontanéité n’existe pas ou d’une façon très relative » Ce sont tes mots.

J’aimerais approfondir, l’être ne s’exprime-t-il jamais sans l’intermédiaire du moi ? Lorsque l’esprit est silencieux par exemple ?

– L’être s’exprime de son côté, rarement le « moi » parle pour lui et lorsqu’il parle avec lui, c’est un signe de grande liberté.

– Que veux-tu dire l’être s’exprime de son côté ? On peut en être conscient ?

– Oui, on peut en être conscient.

– Sans que le moi intervienne ?

– Oui, le « moi » reste en parallèle. L’être s’exprime tout le temps, et le « moi » en est peu conscient. Notre attention est rarement portée sur « notre » être , ou sur les « autres » êtres. Nous ne concevons pas la vie ainsi, pour nous la communication ou l’expression concerne les personnes. Ce sont elles qui sont censées avoir quelque chose à dire, à se dire.

Mais rien ne peut empêcher l’être de s’exprimer parallèlement.

– Oui, tout passe par ce filtre, c’est vrai. Enfin dans la façon « normale » de vivre. Donc lorsque que l’on prend conscience de cet abus, de cette invasion, l’esprit devient plus silencieux et alors en conscience l’être peut se manifester, c’est ce que tu dis ? Le reste du temps, il le fait sans que nous en ayons conscience.

– Ce que je dis est simple, lorsque l’ego se regarde moins lui-même, il porte alors son attention sur l’être, c’est cela prendre conscience de l’autre, vois-tu ?

– Oui, je reformulais pour vérifier si j’ai bien compris tes mots, mais là pourquoi parles-tu de « l’autre » ?

– L’autre, parce que l’ego, tout ce qui n’est pas lui est autre.

– (Sourire)…, oui, il en est ainsi. Donc l’être lui paraîtra étranger à lui-même.

Peux-tu dire ce qu’est pour toi l’être ?

– La totalité de ce que nous sommes, dans le solide comme le subtil.

– L’ego perçoit le corps comme séparé de lui, c’est vrai.

 Le solide est le corps, et ses manifestations ? Au-delà du corps même, le monde ?

– Le « solide » est la matière quantifiable.

 Le « subtil » serait le « champ » qui met tous les éléments en relation.

 Les racines de l’être plongent dans l’infini.

– La conscience de l’être est la conscience de notre appartenance au tout ?

– Oui, tout fonctionne ainsi dans l’être par relation de conscience.

– Dans l’être, pas de moi et l’autre…

Alors cela est la fin de toutes les illusions, c’est le mouvement même du divin.

– La question des illusions ne se pose que pour le moi, la question des formes ne se pose pas ailleurs.

– Oui, tout ce que tu dis, peut-être entendu à différents niveaux, si c’est le moi qui s’en empare l’être est entendu « mon être » ce qui n’a aucun sens !

– Oui.

– J’ai relu des mots dans lesquels tu disais que « l’éveillé » est indépendant de toute influence.

– De toutes ?

– Ben, je pense oui, parce qu’il suffit qu’il en subisse une pour qu’il ne soit plus indépendant.

– Alors oui (Sourire).

– Je pense que tu parlais d’un état où le doute n’a pas sa place, ce doute qui fait la peur.

– Il ne s’agit pas de doute.

Mais si tu entends par « influences », l’effet de la volonté ou de la pensée ou d’autres choses venant des autres, de l’étranger, je peux te confirmer que oui.

Cependant, on peut élargir le champ de ce mot.

Ainsi, la lune exerce une influence.

Les saisons, les astres, le vent, le soleil, etc.

Et si je peux, plus ou moins modérer ces influences, agir sur elles, je ne peux pas prétendre pouvoir stopper ces influences-là. Être en vie, le rester, cela comprend également, pour ne pas dire surtout faire l’échange, négocier en permanence avec ces influences.

– Tu ne parlais certainement pas de ça, mais bien de l’influence de la pensée, la volonté d’autrui.

Qu’est-ce qui fait qu’il ne subit plus cette influence, sans pour autant être dans l’arrogance de celui qui pense détenir un pouvoir ?

– Le fait qu’il soit capable de voir clairement tout ce qui le touche. Il adopte ou rejette en conscience ce qui doit le toucher, il permet ou ne permet pas.

Le fait de voir accorde cela, et permettre une pensée ou une volonté de te toucher, c’est comme ouvrir la porte.

Tu ne subis pas la présence de tel que tu as invité à entrer chez toi.

– Tu parles là de discernement, et cela n’est pas jugement, ni rejet n’est-ce-pas ?

_ Pour admettre ou rejeter, le jugement est indispensable. Mais quel sens péjoratif attaches-tu encore à ce mot ? Juger est indispensable en toute chose.

– Je n’attache pas de sens péjoratif, dans le langage courant, le jugement a un sens détourné, c’est pourquoi je préfère utiliser le mot « discernement » qui n’a pas ce sens moraliste qu’on y attache.

– Le jugement n’a rien de moraliste, tu dois confondre avec la condamnation…

– Non, je ne confonds pas.

– Le jugement est la fonction première de toute raison.

– N’allons pas batailler pour un mot.

– Je ne bataille pas… Je te pousse à dépasser un point de raison sur lequel tu butes souvent. Ce n’est pas de notre faute si les gens détournent les mots et comme ils les détournent tous, nous ne pouvons opter pour la non-utilisation de ces mots.

– Tu redonnes à un mot son vrai sens, moi je sais comment il est entendu couramment.

– Peu importe le sens que la rue donne aux mots, entre toi et moi. Entre toi et tous les autres, force-toi à définitivement remettre les mots dans le bon sens. Car là est notre unique chance de salut.

– Je vais tenter de t’expliquer quelque chose, mais avant sache que j’entends ce que tu dis, et bien entendu si j’entends je suis d’accord. Pour autant, je suis à la lisière, et moi-même encore je suis concernée par ces modes de fonctionnement qui font que le mot « jugement » désigne du doigt, oui une sorte de condamnation de l’autre. Alors pas facilité sûrement, je cherche d’autres mots qui évitent que mon cerveau fasse l’amalgame et glisse sur la mauvaise pente, celle des habitudes.

Ceci dit, je peux faire l’effort et utiliser, là avec toi, ce mot (sourire).