Plume d’Eveil – De la perception (6)

– Tu l’as dit nous communiquons au niveau où nous percevons. Je ne vais pas t’interroger sur les mots que tu as déjà dits à ce propos, qu’ils sont l’intelligence et la folie humaine, mais sur l’essentiel.

Quel est donc cet essentiel pour lequel il nous faut entrer en discipline, pourquoi nous échappe-t-il encore et encore, que peux-tu dire sur ce mystère ?

 

– Plus je me concentre sur une image, plus je force pour la presser, en tirer tout le jus, jusqu’à la dernière goutte et moins je suis ouvert pour toutes celles qui passent à ma portée.

Lorsque tu regardes un film, les images se succèdent si vite devant tes yeux que tu vois une continuité, tu appelles cette continuité « l’action ». Mais ce n’est qu’une illusion, tu le sais, cette continuité est un tout composé de vingt-quatre images à la seconde. Si j’en retire une sur les vingt-quatre, tes yeux, n’importe quels yeux, ne s’en aperçoivent pas. Si j’en glisse une qui n’appartient pas à cette suite, une étrangère, ton esprit, tous les esprits, ne la considèrent pas.

Quel est l’essentiel ? Quel est le secondaire ? Est-il possible de s’arrêter sur l’essentiel lorsqu’on ne le voit pas ? Est-il possible de demander à son esprit d’isoler une de ces images, de la choisir au milieu de tant d’autres selon des critères personnels et selon un processus qui s’exécute sans que nous sachions jamais comment ni pourquoi ?

Soit, il le fera, il retiendra cette image de cheval blanc saisi au vol dans ce film, il ramènera toutes les autres images qui auront un rapport quelconque avec elle, il les regroupera refaisant un autre film, pour lui seul, le construisant image après image comme un puzzle, de toutes celles que sa mémoire a engrangées.

Et le film qui passe sur l’écran, que devient-il ? Pour qui se montre-t-il ?

Plume d’Éveil – Des mots (19)

Le pouvoir des mots sans doute est de permettre le partage des images qui sont vues au sein de l’esprit.

Nous avons échangé des mots mais plus encore, j’ai essayé de t’offrir les paysages, un coucher de soleil, une rivière au creux d’une vallée, le chant d’une fontaine à laquelle ma bouche va s’abreuver. Ce que j’appelais aussi ma « paix », et je dois te remercier d’avoir voulu de ce partage.

J’ai cheminé et je chemine encore au centre de ma fournaise, observé mes émotions et les chemins qu’elles prennent, leurs sources aussi. J’ai étiré les valeurs qui m’habitaient comme des élastiques et quand tu étires il finit par ne plus rien rester.

Tu ne vois plus que des espaces clairs et vides, comme ces « jours » entre les lettres que je suis entrain d’écrire. J’ai compris que la vérité était là, dans ce vide. Peut-être as-tu ressenti quelque chose de cela ?

Si c’est le cas, c’est bien ton regard qui s’est changé, car tout était là déjà. Je n’ai pas de réponses aux questions, c’est ce que je comprends de ce que me disent les « questionneurs ». Les questions s’effacent d’elles-mêmes, et quand cela se produit, c’est que ‘esprit comprend qu’elles sont futiles et vaines, qu’elles sont le produit de notre pitoyable comédie.

Comme j’ai pu être pitoyable, comme je dois l’être encore sans doute. Nous sommes incapables de nous voir tels que nous sommes dans l’instant, lorsque nous jetons un regard sur nous, nous ne voyons que nos traces dans le passé.

Le paysage qui s’étend devant mes « yeux » est d’une beauté pure et cristalline, tout est rempli de sérénité, même la mort.

La souffrance y est inconnue, parce que la peur en a été chassée. Le vivant parle sans bruit, les sons n’ont une utilité que dans les territoires des prédateurs.

On dit que le verbe est action, mais que sont les mots ?

Ils ne sont pas « verbe ». Ils sont peur et douleur, c’est à dire la paralysie de l’action.

Alors comment continuer à les utiliser sans se tromper ?

Sans tromper l’ami, l’enfant ?

Il y a une dimension qui précède la parole, je veux dire une autre dimension que celle de l’esprit. L’esprit n’est qu’un écran bruyant, cette dimension est le silence de notre chair. Quoi ? La langue n’est-elle pas un muscle fait de chair et de sang ? Lorsque la langue n’est pas activée par la « pensée » elle peut l’être par le corps tout entier, la langue est bien une des extrémités de notre corps. Quel son peut-il sortir des cordes si la guitare ou le violon ne vibre avec elles ? Qu’est-ce qui fait la différence entre un violon ordinaire et un Stradivarius si les cordes sont de la même facture ?

Nous pouvons parler, nous pouvons écrire, mais que l’encre de nos mots soit notre sang, et que notre parole soit quête du plus juste accord de notre corps/instrument.

Dans quelle direction aller ? Quel sens suivre ? Nous avons passé tant de temps à poser ces questions à notre ego que nous n’entendons plus les messages de notre corps. Je sais que c’est difficile, toute une relation à rétablir. Tu vois, c’est là qu’est la compréhension qui ne dépend pas de notre volonté.

Chaque acte que nous faisons, chaque décision, génère une réaction de notre corps, celle-ci est presque imperceptible si l’on ne donne pas l’attention nécessaire. Mais elle est.

L’attention ne signifie pas une attitude tendue, comme celle du chasseur à l’affût. Elle n’est pas ce souffle retenu du chat qui attend la sortie du mulot de son trou. L’attention dans ma langue, c’est la disponibilité, la vacuité.